Depuis la fin de 1931, celui qui se fera appeler Céline avait pris contact avec la maison d'édition Gallimard dans l'espoir de faire publier son roman. On se souvient encore de sa célèbre et audacieuse lettre du mois d'avril 1932, accompagnant l'envoi de son manuscrit à la N.R.F.
Il a dû s'impatienter, trépigner, puis se vexer devant ces mois d'hésitations...
Ensuite, on sait que le manuscrit de
Voyage au bout de la nuit a été déposé chez Denoël le 15 juin 1932, et que le contrat d'édition a été signé le 30. Le jeune éditeur ayant su saisir l'occasion, et vite !
En septembre, le roman était encore à la composition, pour une parution vers le 15 octobre.
Connaissant le caractère de celui qui n'était encore que le Docteur Destouches, les semaines ont dû être longues cet été-là !
Il a déjà 38 ans...
La France tente de se relever doucement de la crise qui a fortement secoué la planète.
En Allemagne, on propose à Hitler d'entrer au gouvernement.
Bref... ça roule !
Depuis 1929, notre futur Céline vit à Montmartre avec Elisabeth Craig, une danseuse américaine à qui il a d'ailleurs tenu à dédier son premier roman.
Il exerce tant bien que mal la médecine générale en banlieue, mais sans beaucoup d'entrain ni grande satisfaction.
Le "roman du siècle" lui trotte dans la tête depuis longtemps. Il écrit beaucoup...
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Louis-Ferdinand |
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Elisabeth |
Leur domicile était situé en haut de la rue Lepic, au numéro 98.
C'est là que son chef d'oeuvre est né. Cela lui aura pris 3 ans environ.
Sa fille unique, Colette, séjourne souvent avec eux, et a du mal à dormir à coté de son père, car il écrit la nuit (partout, sur les murs parfois) tout en parlant à voix haute !
Peut-être a t'il croisé ou même connu le peintre Maurice Utrillo qui a si souvent peint ce quartier artistique de Paris ?
L'immeuble est situé juste en face du célèbre moulin de la galette immortalisé par Renoir, où il doit bien s'encanailler de temps en temps.
Le voici vu de la rue Girardon, qui est perpendiculaire à la rue Lepic :
Et de nos jours, le coin n'a pas trop changé !
En 2020
La chronologie de La Pléiade fait état d'un séjour en Bretagne au cours du mois d'août 1932, jusqu'au 25. Probablement en a t'il profité avec sa fille, née de son mariage avec Edith Follet, originaire de Rennes. Celle-ci avait demandé et obtenu le divorce 6 ans auparavant.
Colette, alors âgée de 12 ans, séjourne à l'hôtel Bellevue,
situé au nord de Brest, à l'Aber-Wrach plus exactement :
Son père, revenu à Montmartre, lui écrit tantôt, à cette adresse les pieds dans l'eau...
L'endroit est resté lui aussi pratiquement le même depuis :
Vu du ciel, on comprend mieux le nom de cet hôtel, faisant face à l'Atlantique :
C'est cette jolie lettre qui nous a permis de reconstituer l'histoire en images :
Ceux qui ont eu la curiosité de visiter mon autre "blog" savent que je suis également philatéliste, collectionneur des...
Ils comprendront facilement le plaisir que j'ai eu à la dénicher !
Et à vous en faire profiter.
Non seulement c'est la seule lettre de lui que j'ai pu voir ainsi affranchie avec un de mes timbres favoris, mais également la seule de Céline à sa fille, datant cette époque.
J'ai retrouvé sur internet trace d'une interview au cours de laquelle elle regrette à posteriori de n'avoir conservé aucune archive de son père d'avant la guerre.
Par ailleurs, l'écrivain n'ayant bien entendu connu le succès qu'après la sortie du roman, ses courriers antérieurs à cette date sont bien moins fréquents que ceux qui ont suivi.
On peut même dire qu'ils sont rares.
Celle-ci a été postée tout près de son domicile, place des Abbesses, le 30 août 1932 à 18 h. 45, et est bien arrivée à l'Aber-Wrach (Finistère) le 1er septembre au matin :
Il s'agit d'une carte-lettre, ce qui fait que le texte et notre Semeuse sont restés inséparables depuis toutes ces années. Eut-il utilisé une enveloppe et du papier libre pour lui écrire, que cela n'aurait pas été le cas... Quelle chance pour moi !
Il répond à sa fille : "Mon mimi".
Imaginons la carte postale qu'elle avait dû lui adresser de son joli coin de Bretagne...
Il se plaint de la canicule.
Il parle de sa mère à lui (Marguerite, alors âgée de 64 ans) qui n'a pas réussi à louer un appartement...
Elle était veuve depuis le mois de mars. C'est le prénom de sa grand-mère, la mère de Marguerite, qu'il a choisi comme pseudonyme : Céline.
Il laisse deviner les difficultés financières auxquelles il doit faire face.
Il évoque Ludwik Rajchman qu'il considère comme son maître, à qui il doit beaucoup.
Et il signe "Ton papa / Louis"
Le Docteur Rajchman l'avait fait venir à ses cotés à Genève dès 1924,
pour travailler au sein de la section hygiène de la Société Des Nations.
Il sera après guerre le fondateur de l'UNICEF.
De nombreuses missions à l'étranger pour la S.D.N. ont ainsi permis au Docteur Destouches de parcourir le monde avant de devenir l'écrivain Céline.
C'est aussi à Genève qu'il a rencontré Elisabeth Craig.
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Entre les lignes assez touchantes de ce courrier, on retrace une période importante de la vie de l'auteur de notre roman préféré, juste avant qu'il ne bouleverse le monde littéraire.
Et on croise des personnages qui comptent vraiment pour lui en cet été 1932.
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Colette Destouches (épouse Turpin) a longtemps vécu à Lannilis, tout près de l'Aber-Wrach.
Elle y est décédée en 2011 à l'âge de 91 ans, et y repose à jamais.